Qu'aurait pensé Camille Renault de l'expulsion de Sophie Rocco ? Nul doute qu'il aurait été révolté. Nul doute qu'il se serait empressé de lui trouver un local où elle puisse continuer à créer. Toute sa vie il l'a consacrée aux peintres et à la peinture. Grâce à lui, Puteaux fut l'un des centres les plus actifs de la vie intellectuelle et artistique de l'entre-deux guerres.
Camille Renault a commencé comme apprenti-pâtissier. Epris de peinture, il passait tout son temps libre dans les galeries d'art et décorait ses gâteaux en s'inspirant de Gaughin et des fauves. Après avoir été cuisinier de Lyautey à Rabat, il ouvre en 1925, un restaurant à Puteaux, à l'angle de la rue Edouard Vaillant et de la rue de la République.
Il pèse alors 190 kilos (il en pèsera jusqu'à 250) et choisit pour enseigne : le Big-Boy !
Le choix de Puteaux se révèle excellent. A deux pas du restaurant, au 7 rue Lemaître, s'étaient installés Gaston Duchamp (frère de Marcel), dit Jacques Villon et le tchèque Franz Kupka. C'est l'époque du "Groupe de Puteaux" composé d'artistes intéressés par le cubisme : Villon, Kupka, Gleizes, Metzinger, Picabia, Léger.
Jacques Villon devient un habitué du restaurant et y amène ses amis. Pas d'argent entre Camille et lui : tous les cent couverts, selon leur convention, il offre une toile à son hôte.
Le restaurant attire bientôt le Tout-Paris : on vient chez Big Boy pour la qualité de la cuisine (Camille ne proposait que des mets de maître : croustade Kupka, turbot Villon, soufflé Kandinsky…), pour voir les toiles exposées et rencontrer les artistes mais aussi pour apprécier la bonne humeur et la verve du propriétaire. Très habile en négociations, il obtient souvent de ses clients fortunés qu'ils repartent une toile sous le bras.
Grâce à son travail de restaurateur et de marchand de tableaux, il put devenir le mécène d'une pléiade de jeunes artistes. Il les logeait, les nourrissait et les alimentait en peinture. Camille leur demandait en échange de lui peindre des chevaux, une femme à la fenêtre ou son portrait. Le peintre philippin Vitalis, arrivé en 1930 à Puteaux, restera plus de trente ans chez Camille.
Bientôt les tableaux s'accumulent et certains prendront une valeur inestimable. Camille se retrouvera à la tête d'une des plus prestigieuses collections privées du monde.
Pour exposer ces oeuvres, Camille achète en 1952 une ferme dans le village de Broué entre Dreux et Houdan. Elle sera baptisée "Le bateau de pierre".
Il quitte Puteaux en 1967 : La Défense se construit et les bulldozers détruisent peu à peu les ateliers de ses amis peintres. Il ouvre une galerie boulevard Haussmann. Il vit dans deux pièces aménagées en sous-sol. Aucune fenêtre, seulement des peintures. Lorsqu'il reçoit une toile, il la "teste". Il la place en évidence de façon à la voir en s'endormant, en se réveillant, en mangeant. Puis il change de toile. Si la première lui manque, c'est qu'elle "tenait". "Ici, ce n'est que le banc d'essai, déclare-t-il à un journaliste venu l'interroger. Si la toile "tient", je l'embarque sur mon bateau à Broué."
Grâce à Camille Renault, beaucoup d'artistes ont pu poursuivre leur œuvre. Il n'est pas d'artistes sans mécènes et Camille malgré des moyens limités aura été l'un des meilleurs d'entre eux. Sachant reconnaître le talent, il a accompagné ses jeunes amis avec bonne humeur et dévouement jusqu'au succès. Espérons qu'un jour Puteaux redeviendra une terre d'accueil pour les artistes. Dans les constructions en cours, quelques ateliers d'artistes ne seraient pas de trop.
Tous mes remerciements à Claude Bigey, ancien élève de Camille, qui m'a fait parvenir de nombreux documents.
P.S. La SHALP (Société Historique Artistique et Littéraire de Puteaux) a publié en mars 1991 un numéro spécial Camille Renault disponible aux archives de la Mairie.
Le restaurant a disparu le 31 décembre 1990. Une salle du musée Gaudin (en cours de réaménagement) était consacrée au Groupe de Puteaux. Elle présentait quelques bonnes photographies, une huile sur toile de Jacques Villon, et trois de Franz Kupka. Un ensemble bien maigre qu'il serait souhaitable de compléter.
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