Face au Doktor Pannwitz qui s'apprête à lui faire passer un examen de chimie, Primo Levi perçoit soudain son statut de spécimen zoologique :
"Son regard ne fut pas celui d'un homme à un autre homme ; et si je pouvais expliquer à fond la nature de ce regard, échangé comme à travers la vitre d'un aquarium entre deux êtres appartenant à deux mondes différents, j'aurais expliqué du même coup l'essence du Troisième Reich.
Tout ce que nous pensions et disions des Allemands prit forme en cet instant. Le cerveau qui commandait à ces yeux bleus et à ces mains soignées disait clairement : " Ce quelque chose que j'ai là devant moi appartient à une espèce qu'il importe sans nul doute de supprimer. Mais dans le cas présent, il convient auparavant de s'assurer qu'il ne renferme pas quelque élément utilisable."(1)
(1) Primo Levi, Si c'est un homme
Le camp de Monowitz, où Primo Levi a été envoyé, appartient à ce qu'on a nommé l'empire concentrationnaire d'Auschwitz, qui comprenait en tout une quarantaine de camps. Ce camp était associé à une usine, la Buna, qui appartenait elle-même à une grande entreprise allemande : IG-Farben. La sélection des prisonniers à exterminer y est donc pratiquée avec plus de modération- elle est dans ce camp de 10 à 15 %- : "Un ouvrier qui meurt au bout d'une semaine ne nous sert à rien. Nous voulons des ouvriers qui tiennent au moins trois ou six mois."(2)
(2) Entretien avec Risa Sodi, dans Conversations et entretiens.