Par-delà le siècle écoulé, Jaurès continue de nous parler. Parce qu'il incarne toutes les résistances, toutes les exigences, toutes les espérances. Professeur de philosophie, il sait qu'un talent naît avec chaque homme et qu'il revient à l'école de le faire advenir. Journaliste et directeur de L'Humanité, il sait le prix de la liberté d'expression et la valeur du débat d'idées - aussi prend-il la défense du citoyen Dreyfus quand d'autres, par idéologie et par lâcheté, refusent d'agir pour ce "capitaine bourgeois". Parlementaire - il est élu député du Tarn à 26 ans -, il fait retentir dans l'hémicycle son non à la peine de mort, à la tyrannie de l'argent, au conservatisme de ceux qui exploitent, à l'asservissement de ceux qui produisent.
Jaurès nous parle car il inscrit l'identité socialiste dans le combat républicain : « je n'ai jamais séparé la République, écrit-il dès 1887, des idées de justice sociale sans lesquelles elle n'est qu'un mot. » Ce n'est pas un hasard si, quelques mois après l'unification des courants socialistes, Jaurès plaide avec force à la tribune de la Chambre pour la séparation des Églises et de l'État. Visionnaire, le socialisme jaurésien n'oppose pas le monde et la nation : « un peu d'internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup y ramène. » Humaniste, il tente de réconcilier aspirations collectives et libertés individuelles. Pacifiste, il dénonce la régression infantile des nations modernes qui songent à « faire la guerre pour se débarrasser de la guerre ».
La voix de Jaurès porte. Sa silhouette puissante et rassurante, son charisme mêlé de sensibilité, font de lui un héros et une cible. Autant que la balle du revolver de Raoul Villain, c'est le rejet qu'il suscite à droite et la haine que lui voue l'extrême droite qui assassinent Jaurès le 31 juillet 1914. Plus rien ne sera comme avant. La France entre en guerre. La SFIO participe aux gouvernements d'« union sacrée », puis s'en éloigne. Le tribut humain du conflit et la révolution bolchévique réactivent en son sein la ligne de partage entre réformistes et révolutionnaires. L'unité a vécu. Reste le message de Jaurès : "Même si les socialistes éteignent un moment les étoiles du ciel, je marcherai avec eux dans la sombre nuit qui mène à la justice."
Article de Guillaume Bachelay sur le site du centenaire du Parti socialiste