Dans un article paru cette semaine dans Le Nouvel Observateur, Laurent Joffrin - dont je partage le plus souvent les analyses- fait le point sur le conflit actuel et l'inscrit bien dans la lutte sociale et non dans le conflit de générations comme d'autres le laissent entendre*. Il déplore par ailleurs qu'au moment où la recherche de solutions négociées est devenue vitale pour le pays, le 1er ministre ait décidé de mépriser tous les interlocuteurs existants. Il souligne, enfin, que si les Français sont prêts à accepter des réformes, encore faut-il que celles-ci soient équitables et que ce qui est lâché d'un côté soit compensé par ce qui est accordé de l'autre.
Depuis trente ans, en dépit de ses piètres résultats, la classe dirigeante réclame les mêmes réformes, les mêmes efforts, les mêmes sacrifices. Adaptez-vous ! C'est la Loi et les prophètes. Encore faut-il préciser à quoi. A la mondialisation ? Personne n'en conteste plus le principe. Ce sont ses injustes modalités qui sont rejetées. L'économie devient internationale ? On le sait bien, on l'accepte. Ce qu'on refuse, c'est une forme de capitalisme fondé sur la guerre de tous contre tous, sur la loi exclusive de la création de valeur, sur l'inégalité portée au rang de vertu cardinale. Un capitalisme que ses praticiens eux-mêmes - voyez Peyrelevade, voyez Rohatyn, voyez Soros - condamnent. (...)
Le plan Villepin était très clair. Il l'a lui-même dévoilé, même s'il a vite fait machine arrière pour des raisons tactiques. A l'automne dernier, le CNE, un contrat souple pour petites entreprises. Au printemps, l'actuel CPE. Puis, quelques mois plus tard, un contrat unique qui simplifie le Code du Travail et satisfait enfin la principale revendication du patronat : un marché du travail flexible. Et dans un peu moins d'un an, comme s'ouvre la campagne présidentielle, Dominique de Villepin se présente aux suffrages, fort d'un bilan « réformateur » incontestable et d'une baisse du chômage que la démographie, de toutes manières, nous promet. Tel était le plan que la révolte enraye.
Mais au fait, pourquoi l'interrompre ? Même à gauche, on reconnaît qu'une excessive rigidité handicape le marché du travail, coûtant à la nation une proportion indéterminée mais réelle de chômeurs. CFDT et CGT sont convenues qu'on ne pouvait plus offrir au salarié l'assurance d'un emploi à vie, que les aléas de l'économie exigeaient changements de poste, adaptation, formation et que cette mobilité, dans un environnement mouvant, était l'intérêt même des travailleurs. Mais cette réforme - tout est là - suppose négociation et surtout échange de concessions. Une souplesse nouvelle pour l'entreprise, des droits nouveaux pour le travailleur : l'échange est légitime. Dominique de Villepin l'a tardivement compris, qui a prévu avec son CPE quelques droits supplémentaires. Trop peu et trop tard. Tombé d'en haut, ce contrat de Damoclès, organisant l'instabilité, laissait présager d'une dérégulation générale et unilatérale du marché du travail, que les Français ne sont pas prêts à accepter et que les nécessités réelles de l'économie ne commandent pas.
Le 1er ministre a agi en pyromane. Aucun pays n'accepte d'être gouverné par diktat et l'explosion était prévisible. Son idée de CPE aura eu néanmoins l'avantage de le faire apparaître tel qu'il est aux yeux de l'opinion publique à savoir comme l'un des champions de la droite ultra-libérable.
Mais la crise qu'il a créée conduit à une radicalisation des positions, à une exacerbation des tensions dont nous nous serions bien passés. Tant que, dans notre pays, on appellera "réforme" une mesure qui vise à favoriser unilatéralement une des deux parties en présence, le mot "réforme" tout comme le mot "compromis" resteront des gros mots et le dialogue social restera en panne sèche.
"Parce que, conclut Laurent Joffrin, les sacrifices ne peuvent être acceptés que lorsqu'ils sont justes. Parce que la France acceptera la mondialisation si elle n'est pas seulement synonyme d'une avancée du capitalisme sauvage, mais d'un progrès de la civilisation...".
*Louis Chauvel, sociologue des générations françaises