Difficile d'imaginer aujourd'hui l'ampleur prise par la contestation (la "chienlit", dira De Gaulle) en mai 68. Soudain tout un pays s'est mobilisé -on a compté jusqu'à 10 millions de grèvistes- et tout s'est arrêté.
J'étais alors élève de seconde au lycée de filles Emile Zola à Suresnes mais le lycée est bientôt déserté, les AG se déroulant au lycée de garçons Paul Langevin.
Après l'arrestation et la condamnation à des peines de prison ferme de plusieurs étudiants de Nanterre, les manifestations lycéennes commencent dans le 92 aux cris de "Libérez nos camarades". La plupart des lycéens en resteront là (peu se rendront à Paris) mais ils assisteront régulièrement aux AG et ils suivront avec attention -l'oreille collée jour et nuit au transistor- le déroulé des événements et l'évolution de la situation.
Au commencement... manifestations contre la guerre du Vietnam, actions commandos du parti d'extrême droite "Occident", fermeture de l'université de Nanterre, entrée des forces de l'ordre à la Sorbonne...
- JEUDI 2 MAI : A 7 heures du matin, un commando défonce à coups de pioche la porte d'un local réservé à la Fédération des Groupes d'Etudes de Lettres (F.G.E.L.), au cinquième étage du bâtiment B à la Sorbonne. Le mobilier est détruit. Le tuyau de gaz est sectionné et, avant de partir, les membres du commando lancent une grenade fumigène. Une catastrophe est évitée de peu. L'opération est signée d'une croix celtique, emblème, hier, de l'O.A.S., aujourd'hui du mouvement «Occident». (...)
A Nanterre, commence la première journée anti-impérialiste organisée par le «Mouvement du 22 mars» (1). La situation est tendue. On a appris que Daniel Cohn-Bendit (photo) a été appelé par le recteur à comparaître le 6 mai devant le conseil de discipline de l'Université. De plus, on craint l'arrivée d'«Occident». L'organisation d'extrême-droite a fait venir des renforts de province. Un véritable dispositif d'alerte, avec guetteurs sur les toits et dans les couloirs de la faculté, est mis en place.
En fin d'après-midi, le recteur Jean Roche et M. Olmer, directeur des Enseignements supérieurs, viennent se rendre compte sur place de la situation. Ils font leur rapport à M. Peyrefitte, alors ministre de l'éducation nationale. Peu après, la nouvelle arrive de la décision prise par le doyen Grappin : «Les cours et les travaux pratiques de la faculté de Nanterre sont suspendus», ce qui équivaut à une fermeture de la faculté.
- VENDREDI 3 MAI : Dans «l'Humanité», Georges Marchais s'en prend, avec violence, au «Mouvement du 22 mars» («dirigé par l'anarchiste allemand Cohn-Bendit»), aux gauchistes et aux faux révolutionnaires. Mais il convient qu'on ne saurait sous-estimer leur «malfaisante besogne».
A midi, un meeting rassemble dans la cour de la Sorbonne 400 étudiants, venus en grande partie de Nanterre, pour protester contre la fermeture de la faculté. Pendant que le meeting se déroule calmement dans la cour de la Sorbonne, un très important service d'ordre, formé de gendarmes mobiles et d'agents de police casqués, prend position aux abords de la faculté. Alors que le meeting proprement dit est terminé et que les étudiants se préparent à quitter la cour de la Sorbonne, les forces de police entrent en action.
Un peu avant 17 heures, sur la demande expresse du recteur, une colonne de policiers casqués, munis de boucliers et de matraques, suivis d'un groupe de gendarmes mobiles, pénètre dans la cour de la Sorbonne qu'ils font évacuer. La stupéfaction des étudiants se change en colère, puis en fureur. Des affrontements très sérieux se produisent entre ceux-ci et les membres du service d'ordre. Des pavés volent, des barricades sont dressées. Une manifestation très violente se déroule pendant plusieurs heures, prélude à ce que sera celle du lundi suivant. (...)
(1) Le mouvement du 22-Mars, prenant le relais de la contestation menée par de petits groupes tels les anarchistes et les Enragés de René Riesel, se fait connaître ce jour-là en occupant les locaux de l'université de Nanterre. Sa principale revendication est la protestation contre les arrestations opérées lors des manifestations contre la guerre du Viêt-Nam, selon les historiens.
A lire : Barricades au quartier latin sur le site du Nouvel Obs