Un prêtre français, en Haïti depuis 40 ans,
disait : "Quand on est en Haïti depuis 3 semaines, on a envie d'écrire
un livre, quand on y reste 3 mois, un article semble suffire ; passé 3
ans, on ne sait plus par où commencer".
Je connais ce pays depuis 40 ans, j’y ai vécu 5 ans, j’y retourne régulièrement et j’ai du mal à raconter. Ceux qui pensent ou disent : " yaka, faukon…." peuvent passer leur chemin, ils ne comprendront jamais rien à Haïti ; c’est une histoire originale et difficile, une culture riche dans un pays pauvre, un peuple fataliste mais volontaire, des gens attachants mais épuisants, si proches et en même temps si lointains; on le voit, ce sont d’abord par des contradictions qu’il faut appréhender ce pays.
C’est parce qu’en 1969, j’ai rencontré des réfugiés politiques, exilés par Duvalier Père, que mon histoire et des amitiés ont commencé avec Haïti ; cette histoire est secondaire, mais elle m’a permis de partager des moments importants de la vie de ce pays, notamment entre 1986 et 1991, grâce à mon implication dans la vie politique haïtienne , puis ensuite dans des allers-retours fréquents pour continuer à aider nos partenaires politiques, dans la recherche des voies démocratiques ;
Aujourd’hui, j’ai perdu des amis dans cette catastrophe, plus que cela, des amis militants qui ont risqué leur vie à se battre pour leur pays et qui ont fini écrasés par leur maison ou leur université alors que la lutte pour la démocratie, quelle qu’en soit la figure, est loin d’être terminée.
Haïti a un destin tragique depuis 1804, date de son indépendance ; Dans ce pays, depuis toujours, on pense qu’on a touché le fond mais il y a toujours une marche à descendre ; aujourd’hui, la marche était immense vers le fond du gouffre.
Les responsabilités sont nombreuses et diverses, ont des causes lointaines, d’autres proches.
Le pays pauvre, c’est celui sur le dos duquel ceux qui sont plus riches se font une guerre larvée, s’amusent à une surenchère pour montrer leur générosité ou leurs ambitions régionales, se querellent pour obtenir son vote aux Nations-Unies, se servent de champ d’expérimentation ou d’entrainement militaire ; Haïti a connu tout cela, l’un après l’autre ou tout en même temps.
Le pays pauvre, c’est aussi paradoxalement le Far-West des ONG, qui petit à petit remplacent l’Etat avec les meilleures intentions du monde mais aussi avec des conséquences désastreuses quand l’Etat ou ceux censés le représenter laissent faire ou se laissent acheter.
Le pays pauvre, c’est celui où ceux qui ont réussi à être au pouvoir, d’une façon ou d’une autre, se dépêchent de s’enrichir, à quelques exceptions près, sachant que cela ne durera pas longtemps ; Haïti a connu tout cela également depuis des dizaines d’années.
Ces propos sont insuffisants et n’expliquent pas tout, ils sont une entrée possible dans le débat. Il y en a d’autres.
Rien d’étonnant, pour moi en tout cas, dans ce qui se passe aujourd’hui, après ce désastre naturel : les difficultés d’approvisionnement, l’absence de l’Etat, la violence qui monte, la présence massive des Etats-Unis qui, pour l’instant, est positive.
Oui, il faut aider dans l’urgence ce pays pour soigner, donner à manger et à boire, loger sommairement les habitants ; ce sera fait parce que l’émotion est forte et le monde est généreux.
Je suis plus inquiet pour la suite, c’est-à-dire la reconstruction, que ce soit celle de la ville, pour laquelle toute sorte de requins vont s’aligner, ou celle de la vie politique qui, au nom de l’efficacité, risque de considérer que la démocratie ou l’Etat de Droit ne sont pas prioritaires.
Ce sera un bon test pour mesurer les changements de la politique étrangère américaine qui va s’impliquer énormément dans cette affaire ; Quant à la France, elle continuera à faire des beaux discours sur ce pays francophone que, dans les faits, elle a laissé tomber depuis une vingtaine d’années.
Dans ce déluge de récits, reportages, déclarations, j’en
prends et j’en laisse ; certains me font rire, d’autres m’écœurent,
certains sont encourageants ;
il en va ainsi des engagements personnels, ils permettent sur le long terme de prendre de la distance et d’être patient.
Paul Cozigon - Militant à la section PS de Puteaux - Ancien secrétaire de section du PS à Haïti. Membre du secrétariat international du PS.